Autour des Palombes femelle, Neukölln, Berlin

Rencontre avec le seigneur des lieux
Un cri perçant et répété, un appel impérieux. En me promenant le long d’un des sentiers du parc de Tiergarten, un immense parc au cœur de Berlin, un matin de Juin, j’ai d’abord pensé à une buse variable, le plus commun des rapaces hexagonaux, que j’avais aperçue la veille voler au-dessus d’un des étangs du parc, une centaine de mètres plus loin.​
Les cris se répètent, insistants, à peu près toutes les trente secondes. Attire par l’éventualité d’un spectacle intéressant, je me rapproche. Apres environ deux cents mètres de marche, le sentier quitte le couvert des arbres et traverse une vaste pelouse entourée de hauts chênes (en tant que parc urbain, le Tiergarten est entretenu : en particulier, ses pelouses sont probablement tondues pour permettre aux promeneurs de s’asseoir). Dans un de ces arbres, sur une branche basse, la silhouette d’un oiseau de proie immobile et me faisant face se détache. Bien que les rapaces soient en général sensibles au dérangement humain, celui-ci ne fuira pas lorsque je m’approcherai en catimini jusqu’à moins de vingt mètres. Le poitrail aux rayures horizontales grises sur fond blanc, la calotte grise et le sourcil blanc, les serres jaunes puissantes trahissent immédiatement un représentant adulte d’une des plus belles et des plus féroces espèces de rapaces Européens, l’Autour des palombes (Accipiter Gentilis).
Plusieurs touristes passent et s’étonnent, peu habitués à voir un oiseau d’une telle taille dans un parc urbain. Certains, ornithologues en herbe, tentent de prendre une photo avec leur téléphone portable. D’autres tapent dans les mains pour étudier la réaction de l’oiseau. Malgré l’affluence, l’autour ne bronche pas, se contentant de tourner fréquemment la tête dans toutes les directions, parfois ouvrant puis refermant machinalement le bec.​​​​​​
​​​​​​​Je marque un temps d’arrêt. Bien qu’une des serres agrippe fermement la branche, il me semble que l’autre est utilisée différemment. A défaut de jumelles, je sors rapidement mon téléobjectif pour me faire une idée plus précise. Première constatation : l’œil est rouge orangé, trahissant le sexe de l’individu, un mâle. La femelle, trente pour cent plus lourde, a elle l’œil jaune doré. Il agrippe en fait une boule de plumes ou de poils grise, difficile à identifier. 
Si je m’étais renseigné au préalable, j’aurais su qu’à la différence de la buse variable dont le régime est essentiellement constitué de petits mammifères, l’autour des palombes chasse en prédilection des oiseaux de grande taille. Son nom même en témoigne : la palombe est le nom historique du Pigeon ramier, le grand cousin de notre pigeon des villes, que l’on rencontre en France principalement dans les parcs et dans les champs. La femelle de l'autour, pas effrayée et dotée de serres puissantes, pousse la hardiesse jusqu’à s’attaquer à des oiseaux d’encore plus grande taille, comme le Faisan de Colchide, le Canard colvert voire même le Héron cendré. Les autres rapaces ne sont guère mieux lotis : le Faucon crécerelle et même occasionnellement la Buse variable (!) font partie du régime de notre prédateur.

Autour des Palombes mâle avec une proie destinée à sa nichée

En regardant mieux, je distingue, se détachant de la branche, deux petites pattes d’oiseau, sinistres rescapées du dépeçage en règle dont la proie a été l'objet. L’autour n’est pas un glouton comme le faucon crécerelle, que j’ai vu pu voir engloutir en une bouchée la proie qu’il venait de capturer. Fin gourmet ou sadique, il prend son temps pour transporter sa proie dans un lieu sûr, puis la désarticuler, détacher la chair des os fins comme un boucher. En raison de cette lenteur a faire disparaitre sa proie, on le voit très fréquemment avec une proie déchiquetée dans ses serres, ce qui renforce l’impression de sauvagerie qui se dégage de cet oiseau.
A table ...
Je n’aurai pas le loisir d’assister à ce spectacle cette fois car soudain notre mâle s’envole, zigzaguant entre les arbres avec sa proie, les rémiges de la queue en éventail pour contrôler sa direction. Ma déception ne sera que de courte durée, car à deux cents mètres de là je découvrirai cette fois la progéniture du couple, une fratrie de quatre oiseaux vieux de quelques mois, déjà aussi grands que leurs parents mais réclamant avec force cris le fruit de leur chasse !
Les jeunes autours n’ont pas le même plumage que leurs parents. Au lieu de gris, leur plumage du dos est brun. Au lieu d'être strié horizontalement, celui du poitrail est brun avec des taches noires. Ce n’est qu’après deux ans, bien après qu’ils ont atteint leur taille adulte et déjà en âge de se reproduire, que le plumage des jeunes autours se transformera en la livrée grise des adultes. Calmes ce jour-là, deux d’entre eux se tiennent côte à côte, sur les branches les plus fortes d’un énorme frêne sur le bord d’un des canaux du parc. Fait étonnant pour cet oiseau réputé farouche, l’arbre est situé à quelques mètres seulement d’un sentier arpenté par de nombreux visiteurs. Les deux oiseaux seront rejoints quelques minutes après par le reste de la fratrie, deux juvéniles supplémentaires issus de la même nichée, se posant sur le même arbre dans un concert de piaillements impatients.
Comme pour tous les oiseaux, l’arrivée d’un des deux parents rapportant une proie quelques minutes plus tard est accueillie par le vacarme d’une progéniture affamée qui se dispute le butin. Le vainqueur, ce jour-là un mâle à juger de sa plus petite taille, s’éloigne rapidement des autres juvéniles, se posant dans un arbre plus loin pour déguster sa victime, un oiseau dont je ne peux reconnaitre l’espèce. Je le rejoins, le contourne doucement pour le prendre en photo de trois-quarts : pas de signes d’inquiétude. Seulement, il ne semble pas pressé d’attaquer son repas. Il scrute les environs, ouvre le bec, bat des ailes. Probablement gêné par ma présence, il décide après quelques minutes d’aller faire festin au calme et disparait dans l’ombre entre les arbres.
L’Autour des palombes à Berlin
Ma première rencontre avec l’Autour des palombes datait de quelques mois plus tôt. Quelques mois après mon arrivée à Berlin, au début du printemps, je venais de me décider à ressortir mon appareil photo après une année d’inactivité et j’avais entrepris d’explorer la forêt de Grünewald, la plus grande forêt de Berlin, située dans l’ouest de la ville. Apres une longue exploration et ma première rencontre avec les rouges-queues a front blanc du cru, je me dirigeais vers la station de la S-Bahn Grünewald située non loin via une route longeant la foret d’un côté et bordée de pavillons de l’autre. Je vis soudain une forme furtive quoique massive, venant de derrière moi, passer en silence derrière un des pavillons à ma gauche, puis traverser la route une cinquantaine de mètres devant moi et et se poser sur une branche basse d'un des premiers arbres de la forêt. J’avais bien vu qu’il s’agissait d’un rapace, mais cette façon de voler à basse altitude sur de longues distances ne correspondait pas aux comportements des buses, faucons et autres rapaces que je connaissais mieux, des oiseaux se déplaçant généralement au-dessus du couvert des arbres. C’est à la suite de cette rencontre inattendue que je commençais à me renseigner sur cette espèce et son étonnante adaptation à un environnement urbain.
L’Autour des palombes a quasiment disparu d’Allemagne dans les années cinquante, avant de faire un retour progressif dans les décennies suivantes après que le gouvernement ait instauré les premières mesures de conservation de l'espèce. La réapparition de l’oiseau dans la capitale allemande date lui des années quatre-vingt, avec l’installation d’un couple nichant dans la forêt de Grünewald, dans l’ouest de la ville. La protection intégrale dont il fait l’objet (comme en France, il est légalement interdit de chasser, d’empoisonner ou de nuire volontairement à cet oiseau) lui a depuis profité : désormais, une centaine de couples d’autours des palombes nichent dans la ville de Berlin, pour une part dans les nombreuses forêts (presque deux cent kilomètres carrés) en périphérie de l’agglomération (Grünewald, Spandauer Forst, Tegeler Forst), pour une autre part dans les parcs, comme le Tiergarten, et cimetières du centre-ville.
A travers mes explorations répétées des recoins cachés de l’agglomération et en l’espace de quelques mois, j’ai repéré des individus de cette espèce en quatre endroits différents, deux sites dans les forêts de Grünewald et Tegeler, un dans le parc de Tiergarten et un dans un cimetière du quartier de Neukölln. Pour autant que j’aie pu en juger, la relative indifférence des oiseaux du Tiergarten à la présence des humains est exceptionnelle, toutes les rencontres que j’ai pu faire par ailleurs ne durant que le temps que l’oiseau ne se rende compte de ma présence et ne s’envole. Une difficulté d’approche frustrante, mais partiellement compensée par la forte territorialité de cette espèce, qui garantit plus ou moins de retrouver les mêmes oiseaux au même endroit a quelques centaines de mètres près, en revenant un autre jour.

Autour des Palombes mâle posé sur un arbre dans un cimetière, Neukölln, Berlin

La NABU (acronyme pour Naturschutzbund), la plus importante ONG de préservation de la faune en Allemagne, a mis en place au sein de son groupe de protection des rapaces AG Greifvogelschutz, un programme spécifique de monitoring et de protection des populations des autours nichant à Berlin. Un recensement de la population résidente est réalisé chaque année en Mars/Avril, afin d’identifier le nombre total d’individus, évaluer leur condition physique (en particulier l’existence ou non de maladies), localiser les nids et éviter que des travaux ou des abattages d’arbre ne soient réalisés à proximité de ceux-ci.
Lors du recensement, les jeunes autours de l’année, soit environ cent cinquante juvéniles issues d’une cinquantaine de portées, sont extraits du nid quelques semaines après leur naissance, descendus de l’arbre, bagués puis remis en place, chaque bague ayant un numéro spécifique permettant d’identifier l’individu.
Les bagues sont finalement récupérées sur les individus retrouvés après leur décès (environ 15% des bagues posées à la naissance sont retrouvées, les autres oiseaux n’étant pas retrouvés après leur mort). Le relevé permet d’évaluer la durée de vie des autours en milieu urbain, ainsi que leur dispersion par comparaison avec leur lieu initial de baguage. La NABU demande également aux photographes ayant pris des photos des oiseaux sur lesquelles le numéro de la bague est visible de les signaler au groupe de travail, via un contact laisse sur le site internet de l’association.
En dépit de la protection accordé à l’espèce, l’Autour des palombes est très vulnérable et sa survie en milieu urbain est précaire. La première cause de mortalité des rapaces est les collisions accidentelles avec l’infrastructure urbaine, en particulier avec les vitres des bâtiments ou même des abribus. Lorsque les accidents ne sont pas fatals et que les oiseaux blessés sont repérés et secourus à temps, ils sont transportés puis soignés au sein du centre de soin des oiseaux sauvages de la NABU, situé à Wuhletal dans l’est de la ville.
La protection de l’avifaune en milieu urbain
En France, l’Autour des palombes n’est pas un habitué des villes. Paris ne compte aucun couple et la région parisienne seulement deux, résidents de la forêt de Fontainebleau. Une situation étonnante quand l'exemple allemand démontre que l’autour n’est pas fondamentalement incompatible avec un milieu fortement anthropisé. L’autour n’est pas le seul oiseau dans ce cas : son petit cousin l’Épervier d’Europe (Accipiter Nisus), d’allure similaire mais deux à trois fois moins lourd, niche à Paris en seulement quelques sites (dont la bibliothèque François Mitterrand) tandis qu’il est également relativement commun à Berlin.
Les explications de cette différence sont mal connues, quoique certaines raisons évidentes puissent être avancées. En premier lieu, Berlin est une ville relativement peu dense : environ 3,6 millions d’habitants pour une superficie de 892 km², soit une densité d’un peu plus de 4000 habitants au km². Par comparaison, la surface de Paris intra-muros (en incluant les Bois de Vincennes et Boulogne) n’est que de 105 km², pour une population de 2,2 millions d’habitants, soit plus de 20,000 habitants au km². Les oiseaux sensibles au dérangement humain tels que les grands rapaces ont donc beaucoup plus de facilité à trouver dans les nombreux parcs des havres de paix pour nicher et se reposer au sein de la capitale allemande.

Epervier d'Europe dans un cimetière, Berlin

L’étalement urbain permet également à la municipalité berlinoise de dédier des zones entières a la protection de la faune et de la flore, mesures inexistantes à Paris du fait des couts de la surface interdisant ce « sacrifice » financier. Les maigres espaces verts parisiens, envahis au printemps par une foule en dette de nature, sont à mettre en regard des cinq sanctuaires ornithologiques (West Duppeler, la forêt de Grünewald, West Muggelspree, Tegeler Fließtal et la forêt de Spandau), chacun de plusieurs kilomètres carrés, et des quinze zones Natura 2000 aménagées au sein de la métropole berlinoise.
Au-delà des zones expressément désignées par la règlementation pour une protection renforcée, la municipalité est à l’initiative de mesures de protections spécifiques : ainsi, le parc de Tempelhof, principal aéroport de Berlin Ouest au temps de l’ex RDA, fermé en 2008 et reconverti en parc piéton depuis 2010, a été aménagé pour favoriser la reproduction de l’Alouette des champs (Alauda Arvensis). L’accès aux champs d’avoine sauvage du parc, soit environ quarante pour cent de sa surface totale (400 hectares), est interdit d’accès aux visiteurs d’Avril à Aout, ce qui permet à plusieurs centaines de couples d’alouettes de nicher dans les hautes herbes sans risquer de voir leurs nids piétinés. Luxe environnemental pourrait-on penser ? Malgré ses deux millions de visiteurs par an, le parc est devenu un des hauts lieux de nidification des alouettes des champs dans la région de Berlin et du Brandenburg car, même urbaines, il est plus facile de nicher dans des prairies vierges et laissées à la jachère que dans des champs de céréales arrosés de pesticides et moissonnés à l’été, dans un battage d’épis et d’oisillons...
Ainsi, grâce à ces aménagements spécifiques, plusieurs zones de la capitale allemande ont été transformées en refuge naturel pour des espèces initialement rustiques, mais dont l’existence est menacée par nos pratiques agricoles, une inversion offrant aux promeneurs citadins les plus observateurs des spectacles inattendus.
Les prairies du Tempelhof m’ont permis d’assister au printemps au vol nuptial des alouettes. Un oiseau brun rayé de noir, à la queue bordée de blanc, décolle de la prairie et monte haut dans le ciel en chantant, reste suspendu à une cinquantaine de mètres de hauteur pendant plusieurs minutes, puis redescend doucement en vol plané, surplombant les herbes de quelques mètres durant un moment avant de plonger brusquement. De temps à autre, une téméraire se perche sur un des fils de fer délimitant la zone protégée, offrant au regard des passants sa houppe caractéristique et les ongles allongés de ses doigts postérieurs. Des chants s’échappent en permanence des herbes hautes, laissant deviner a seulement quelques mètres un théâtre secret d’éclosions et de vie qui démarrent. Les rares arbustes parsemant la plaine sont autant de postes de chant privilégiés pour le bruant proyer, un passereau ressemblant à un moineau solitaire au gros bec orangé, habitué des terrains ouverts et avide de graminées, mais considérablement plus sensible à la qualité de son écosystème, et dont les effectifs français ont diminué de près de cinquante pour cent sur les vingt dernières années en raison de l’évolution des pratiques agricoles.
Les prairies du parc sont survolées par des faucons crécerelles qui voient dans les nids d’alouettes un véritable buffet à ciel ouvert, repérant leurs proies statiques et sans défense grâce au célèbre vol du Saint-Esprit : un vol battu à faible hauteur maintenant le rapace en position stationnaire, avant qu’il ne s’abatte sur sa proie sans défense dans un scenario immuable et tragique. En juin 2021, à l’occasion de ma première visite du parc, j’ai ainsi pu filmer une femelle posée sur un poteau au bord de la zone protégée, à quelques mètres de moi, dévorant en quelques secondes un oisillon qu'elle venait de capturer, avant de reprendre son vol le ventre plein.

Le parc de Tempelhof n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il est possible d’apercevoir des martins-pêcheurs plongeant dans les étangs du jardin du Château de Charlottenburg, ou des barrages de castors sur le lac Tegel (Tegelsee). Autant de spectacles rares, rendus possibles par l’attention portée à la nature par nos voisins germains et que je peine à retrouver à l’occasion de mes séjours en France. Comment dédier près de deux kilomètres carrés urbains en Île-de-France à une friche sans valeur ajoutée économique, la soustrayant par là même aux convoitises des promoteurs immobiliers, pour le salut d’une espèce dont presque personne ne connait l’existence, sauf à travers une chanson pour enfants ?

Sans vouloir faire d’idéologie, il me semble que Berlin et l’Allemagne de l’Est sont encore imprégnés dans une certaine mesure de la culture collectiviste de l’ex-RDA, pour lesquels la richesse et le profit personnel occupent une place moins fondamentale de symbole de la réussite individuelle dans l’imaginaire collectif, et inversement la poursuite d’intérêts communs à la société entière et non nécessairement financiers mieux acceptés (une tendance que j’ai pu percevoir également durant mon expérience japonaise). À l’heure où notre biodiversité s’effondre, je pense qu’il serait pertinent d’accepter de sanctuariser certaines zones, y compris dans des zones urbaines, sans autoriser des organismes privés à en tirer des bénéfices financiers, comme un tribut rendu à la nature pour qu’elle s’épanouisse et nous permette à notre tour de survivre sur le long terme.
Un cimetière pour royaume

J'habite Neukölln, un quartier situé à l'intérieur du Ring, la ligne de train qui délimite le centre de Berlin de ses quartiers périphériques. Il s'agit d'un quartier populaire, l'un des plus densément peuplés de la capitale. D'une rue à l'autre, on passe de trottoirs mangés par les tables des kebabs de ce haut lieu de l'immigration turque, à des bars bobos où des jeunes artistes aux bras tatoués viennent refaire l'histoire autour d'une bière. 
Depuis que je suis arrivé, je n'ai que très peu fréquenté ces bars de quartier, contrairement aux habitudes de mes vingt-cinq ans lorsque je sortais à Paris après le travail. J'ai surtout passé mon temps libre à arpenter les espaces verts de la ville et de ses environs, soit en joggant (mon sport actuel), soit avec un appareil photo, à la recherche de nos petits camarades de plume et de poil. Un soir de juin, j'ai terminé le travail tôt, et j'en ai profité pour aller faire un tour dans un des principaux cimetières du quartier. Un endroit calme et secret, où l'ombre d'arbres majestueux couvre le repos d'innombrables victimes de la Deuxième Guerre mondiale.
C'est dans ce lieu de paix que j'ai fait la rencontre du plus aventureux des autours, un jeune oiseau qui avait fait son royaume de ces moins de dix hectares de verdure au milieu d'une mer de béton. Trahi par les piaillements furieux des mésanges, pinsons et autres passereaux hostiles, il a fui quand il m'a vu approcher, mais l'exiguïté de son refuge l'a forcé à se poser non loin de là, sur les arbres qui bordaient son havre. Obstiné dans mon idée de capturer son image, je l'ai poursuivi, le forçant à des envols répétés. En dépit de mes poursuites maladroites, l'oiseau ne s'est pas résolu à s'aventurer au-delà des murs du cimetière, bordé d'un côté d'une route et d'immeubles, et de l'autre d'un petit parc arpenté par des promeneurs et leurs chiens. Même s'il était jeune et peut-être même encore nourri par ses parents, en contemplant ses déplacements d'oiseau en cage, je n'ai pas pu m'enlever ce sentiment d'assister à une tentative de la Nature de reprendre ses droits, comme des brins d'herbe qui tentent de pousser entre les pavés d'une rue.  Les tendances à la croissance des populations de l'autour des palombes à Berlin rendent cette tentative réjouissante, comme un petit combat en plus de gagné par la Terre face au plus exigeant de ses habitants.
Finalement, après avoir visité quatre fois ce cimetière et après autant de rencontres avec le gardien des lieux, j'ai plus ou moins abandonné l'espoir de tirer des clichés de qualité. Je me suis aussi dit qu'à force de le déranger, je risquais de faire fuir ce courageux naufragé sur son île. Outre quelques photos passables, j'en ai gardé le souvenir d'une rencontre surprenante, qui à mon sens symbolise le mieux comment un magnifique rapace a réussi à reconquérir un territoire qu'il avait dû abandonner durant des siècles.

You may also like

Back to Top